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Frédéric Stasiak

Entretian avec Frédéric Stasiak

Professeur de droit pénal, consultant spécialisé en droit pénal des affaires

septembre, 2020

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Quelle est votre opinion sur le droit pénal économique aujourd’hui, notamment en France?

En l’absence d’un “code pénal des affaires”, le droit pénal des affaires – ou économique – apparaît aujourd’hui en France comme un ensemble hétérogène regroupant des infractions de droit commun présentes dans le code pénal français (escroquerie, abus de confiance, corruption et infractions voisines, recel, blanchiment, …etc.) et des infractions dispersées dans d’autres codes (le code de commerce pour les infractions en droit des sociétés commerciales, en droit de la concurrence, la banqueroute, … ; le code monétaire et financier pour les délits boursiers ; le code de la consommation ; le code général des impôts pour la fraude fiscale, … etc.).

A cette dispersion matérielle s’ajoute un cumul de compétences de différentes juridictions : juridictions pénales de droit commun pour les délits économiques de faible et moyenne gravité ; les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) pour les affaires d’une grande complexité (article 704 du code de procédure pénale français) et le procureur de la République financier pour certaines infractions spécifiques (article 705 du code de procédure pénale français)

Comment voyez-vous le développement des programmes de conformité dans les entreprises françaises ou celles qui font des affaires en France? 

Les programmes de conformité participent d’une meilleure détection des infractions d’affaires concernées par ces programmes en droit français : le blanchiment et la corruption lato sensu.

Toutefois, ce type de programme tend à reporter sur des entreprises privées le coût de la détection des infractions concernées qui est pourtant la mission du service public de la justice et plus spécialement du ministère public.

En conséquence, Ces programmes peuvent entraîner des effets pervers que les économistes appellent “l’effet Arlen” : les entreprises privées peuvent avoir tendance à réaliser une détection minimale afin de ne pas risquer de révéler des infractions pour lesquelles elles pourraient être pénalement responsables.

Une contrepartie est donc souhaitable et suppose, par exemple, que les entreprises qui détectent une infractions dans le cadre d’un programme de conformité puisse bénéficier en contrepartie d’une dimunition ou même d’une suppression de leur responsabilité pénale.

Quelle est l’importance de la théorie criminologique pour comprendre et expliqué le phénomène des délits économiques?

A titre personnel, je ne recours que très peu à la criminologie en droit pénal des affaires, ce qui est sans doute une erreur de ma part.

À votre avis, quelles seraient les sanctions appropriées pour les criminels économiques, tant les personnes morales que les personnes physiques?

La réponse peut ici être différente selon qu’on l’envisage sous l’angle de l’analyse économique ou du droit.

L’analyse économique tend à montrer, par exemple, que l’emprisonnement n’est pas une peine efficiente en droit pénal des affaires (ratio coût/bénéfice négatif pour le délinquant comme pour la société). La peine d’amende ou d’interdiction de l’activité professionnelle serait préférable.

L’approche juridique, indique que les amendes sont assez peu dissuasives surtout lorsqu’elles sont d’un montant “insuffisant” ou lorsqu’elles ne prennent pas en compte le bénéfice retiré par le délinquant.

En revanche, la privation de liberté semble être une peine dissuasive que redoutent particulièrement certains délinquants d’affaires (les “white collar”).

Pour les personnes morales, les sanctions pécunaires (amendes, confiscations, fermetures d’établissements) semblent adaptées à la délinquance d’affaires. Il en va de même de la peine de publication de la condamnation qui génère une “mauvaise réputation”, même temporaire de la personne morale, ce qui explique le recours récent en droit français à des procédures transactionnelles comme la “convention judiciaire d’intérêt public”, inspirée par les Deferred prosecution agreements (DPA) des pays de common law.